Un héritage agricole

Lorsqu’au XIIIème siècle les chanoines de l’abbaye de Saint Pierre en L’Isle (1) abordent l’île de Jau-Dignac-et-Loirac pour l’évangélisation des populations locales, ils débarquent sur la côte Est, qui est aujourd’hui le Port de Goulée. Ils arrivent par l’Est car c’est le côté qui borde l’actuelle Gironde, les trois autres côtés sont des marais assez impénétrables, ce qui explique que l’île a pendant longtemps privilégié ses rapports avec la côte charentaise (plus facile d’accès par voie navigable) plutôt qu’avec le Médoc dont elle dépendait, le "païs solitaire et sauvage au bout du monde" de La Boëtie. Ils se fixent sur le site qui deviendra plus tard Saint-Aubin et le village de Dignac. Ils trouvent la population regroupée sur le village de Jau qui voue un culte au dieu Jupiter et ils baptisent tout naturellement l’île, « Insulae Jovis » l’île de Jupiter. Les chanoines vont élever une mère église (Saint Pierre de Jau) sur l’emplacement de l’ancien temple (au Nord de l’île), une fille à Dignac (Saint Pierre aux Liens de Dignac) à l’Est et enfin une autre fille à Loirac (Saint Romain de Loirac) à l’Ouest pour former un triangle de trois villages (2). Deux seigneurs viendront s’installer sur l’île, un à Loirac et un à Dignac sur l’actuel site de l’exploitation.

 

On trouve dans les archives un certain François de Dignac propriétaire de 700 hectares de terres et de la maison noble de Saint-Aubin. On note que tous les ans, tous les habitants du village de Dignac partaient en procession à travers les champs pour la bénédiction des futures récoltes. Le jour de la procession était toujours le 1er mars, jour de la Saint-Aubin. La vocation agricole de l’île était surtout tournée vers les céréales comme l’ensemble du Médoc de l’époque.

L'île se rattache à la terre

Mais aux grandes marées c’est tout les bas fonds du Médoc qui sont inondés de la Pointe de Grave à Blanquefort. La Gironde pénètre par les marais de Jau-Dignac et transforme le tiers du Médoc lui aussi en marais avec tous les inconvénients pour les médoquins (3). C’est à la fin du XVIIème siècle, sous l'impulsion du Duc d'Épernon (4), que Louis XIV favorise la venue d'ingénieurs Hollandais pour construire une digue au large de l’île, digue qui empêche les inondations régulières, qui assèchent les marais du Médoc et qui rattachent définitivement l’île Jau-Dignac et Loirac à la terre ferme. On voit alors se dessiner sa triple vocation agricole, c’est-à-dire élevage de chevaux et de bétail dans les palus (anciens marais), la culture de céréales dans les mattes (ancien lit du fleuve) terres alluvionaires très riches et enfin la culture de la vigne sur l’ancienne île qui est une butte de graves de formation analogue à celles de Saint-Estèphe, Pauillac ou Saint Julien. 

À la révolution le Domaine est morcelé et vendu aux enchères, le château sera transformé temporairement en prison de femmes (5), mais retrouvera très vite sa triple vocation d’élevage (chevaux et vaches), de culture céréalière et de production viticole. Au début du XIXème siècle, les trois petites églises de Jau, de Dignac et de Loirac sont démantelées et l’on en construit une grande au coeur de ce triangle de trois villages pour donner naissance au village de Jau-Dignac- et-Loirac, appelé plus communément

« le centre ».


1. Abbaye augustinienne de l’Isle en Médoc (commune d’Ordonnac, canton de Lesparre). L’établissement aurait existé dès 1079 (lettre de Grégoire VII adressée à une maison de chanoines augustins située en un lieu appelé l’Isle).Charte de 1130, Arnaud, archevêque de Bordeaux autorise la construction d’une abbaye. 1153, fin de la construction (charte de protection de l’archevêque de Bordeaux). Bulle de protection accordée à l’abbaye le 31.10.1179 par le pape Alexandre III.

2. Variétés Bordelaise, ou Essai Historique et Critique sur la Topographie ancienne et moderne du Diocèse de Bordeaux par M. l’ Abbé Baurein (1782). Tome second (page 45à 54) Articles VII – VIII – IX.

3. L’habitant du Médoc est un « médoquin » puisqu’on l’appelle en gascon « medouquin ». On est médoquin (médoquine) comme on est limousin (limousine). La forme « médocain » (médocaine) est le résultat d’une assimilation à des adjectifs français courants comme « américain » ou « républicain » orthographe moderne qui offense la langue d’Oc.

4. Jean-Louis de Nogaret de la Valette, Duc et Pair d’Epernon (1554 – 1642), colonel-général de l’infanterie, grand amiral de France, gouverneur de plusieurs grandes provinces et places militaires, servit pendant 72 années, de l’âge de 16 ans à sa mort à 88 ans, six monarques : Charles IX, Catherine de Medicis, Henri III, Henri IV, Marie de Medicis et Louis XIII. Henri III, dont il fut le favori, l’appelait « son fils aîné », Henri IV « son ami », Marie de Medicis « son sauveur ». En ces temps de mise en valeur de la France sous l’impulsion royale et l’administration ordonnée de Sully, le Duc d’Epernon fit assécher en Médoc, sur les conseils d’ingénieurs hollandais, les terres marécageuses qu’il y possédait. Possessions reçues par transmission au décès de son épouse Marguerite de Foix-Candale (1593) ; Il reçoit le captalat de Buch (Bassin d’Arcachon) et la baronnie de Castelnau (Médoc). Le Duc d’Epernon, qui était Seigneur de Lesparre, acquit, au mois de Février 1633, la Seigneurie de Loirac ; Son dessein en faisant cette acquisition, était de pourvoir à l’écoulement des eaux des marais qu’il était question de dessécher. Il eût été gêné dans l’exécution de son projet, s’il n’eût été propriétaire de la Seigneurie de Loirac ; Seigneurie dénommée « Les marais de la petite Flandre » et renommée après le drainage « Les Polders de Hollande ».

5. Comité de surveillance du district de Lesparre pendant la Terreur (1793 – 1795). Au moment de son installation, le premier comité ne pouvait utiliser que des prisons provisoires dans la ville de Lesparre ; mais comme elles n’étaient pas assez vastes, le comité demanda et obtint (le 10.10.1793) la cession de « la maison Nationale de Dignac » pour y incarcérer les femmes.